En France, jusqu’à l’actuelle crise sanitaire, le télétravail était relativement peu pratiqué en comparaison d’autres pays occidentaux. Pourtant, il est démontré que le télétravail a un impact positif non seulement sur les performances des entreprises et des organisations, mais aussi sur le développement durable et le bien-être. Le télétravail améliore le confort de travail, ainsi que les conditions et les temps de déplacement.
Le télétravail est victime de beaucoup de préjugés et de clichés. Il isolerait des salariés démotivés, qui ne seraient plus joignables et qui feraient semblant d’exercer leur fonction alors qu’ils se consacrent à leur famille ou à leurs loisirs. S’ils font l’effort de travailler, c’est en pyjama, dans leur canapé, sans réel engagement ou ambition.
Cependant, une nouvelle étude de chercheurs de la Harvard Business School et de l’Université de New York contredit cette vision négative et démontre que les salariés en télétravail consacrent 48,5 minutes de plus par jour à leur profession. Pendant le confinement, même les managers les plus perplexes ont constaté que le télétravail leur avait permis de maintenir leurs activités sans réel impact négatif.
Beaucoup d’entreprises dont la culture était hostile au télétravail ont pu continuer à fonctionner tout à fait normalement pendant le confinement. Cette prise de conscience a changé en profondeur la perception de nombreux managers qui voient désormais le télétravail comme une solution d’avenir pour être plus efficace, faire des économies surtout en temps de crise, et recruter de nouveaux talents grâce une marque employeur plus attractive. C’est aussi un moyen de gagner en agilité et de réduire les risques.
Des performances remarquables
Bien que le télétravail ne soit adapté ni à tous les métiers, ni à tous les profils, et que certains y soient complètement réfractaires, il présente de nombreux avantages et les personnes qui le pratiquent sont globalement plus performantes. Avec la crise de la Covid-19, cette contrainte est peut-être devenue une opportunité pour les entreprises qui réalisent le potentiel de création de valeur du télétravail.
Après avoir été forcées de l’expérimenter par des circonstances qu’elles ont subies, de nombreuses start-up, mais aussi de grands groupes comme Accenture ou PSA, ont choisi de pérenniser le télétravail sous des formes diverses.
Ces entreprises ont constaté des performances égales ou même supérieures, pour des frais de déplacement et d’immobilier réduits, avec moins de congés maladie et une meilleure empreinte carbone. Le télétravail fidélise les employés qui expriment leur satisfaction et en attire de nouveau qui souhaitent en bénéficier. Il décentralise l’activité et produit des organisations plus horizontales, plus agiles et plus efficientes.
Le télétravail a donc fait ses preuves pendant la crise sanitaire. C’est ce que l’entreprise Twitter a constaté au mois de mai dans un communiqué qui annonce que certains de ses salariés pourront rester en télétravail indéfiniment s’ils le souhaitent. Le groupe s’est montré très satisfait des premiers mois d’expérimentation et a décidé de faire tous les entretiens de recrutement par vidéo-conférence.
Le 21 mai, Mark Zuckerberg a déclaré que 50 % des employés de Facebook pourront travailler chez eux en permanence d’ici 5 à 10 ans. Il précise que ce n’est pas un objectif, mais une possibilité qui est offerte au personnel. Comme pour Twitter, les entretiens à distance vont devenir la norme. En octobre, c’est Microsoft qui a annoncé qu’une partie de ses salariés pourront continuer à travailler depuis leur domicile de manière partielle ou totale.
De meilleurs conditions de travail à la maison
Beaucoup de salariés arrivent sur leur lieu de travail en étant déjà fatigués, surtout dans les grandes agglomérations et en région parisienne, après un long trajet où ils ont dû affronter le froid, la pollution, les embouteillages ou les transports en commun bondés, quand ce ne sont pas les grèves. Ils commencent leur journée de travail avec plus de stress et moins d’énergie que quand ils ont quitté leur domicile, en ayant perdu un temps précieux qu’ils auraient préféré utiliser autrement.
En plus d’éviter les risques actuels de contamination, travailler chez soi permet de préserver son temps, son énergie et son calme, tout en faisant des économies. Le télétravail nécessite d’avoir à son domicile un espace dédié qui permette d’exercer sa profession dans de bonnes conditions. Ce lieu aménagé selon les goûts de chacun est propice à la concentration et évite les interruptions. Le télétravail permet alors de travailler dans des conditions plus confortables et plus agréables, donc de ressentir plus de plaisir et de facilité dans la réalisation de ses missions.
L’entreprise fournit un budget annuel qui permet de s’équiper avec les matériels et logiciels les mieux adaptés aux pratiques individuelles et collectives. Le cadre de travail ne contraint plus le cadre de vie et le bien-être personnel se ressent sur les performances professionnelles. Les salariés peuvent habiter où ils le souhaitent et les entreprises déménagent dans des locaux bien plus petits, moins coûteux et aménagés comme d’accueillants lieux de rencontre.
Certaines personnes réticentes au télétravail, souvent sans jamais l’avoir essayé, considèrent que l’aspect social de leur métier serait menacé et ont peur de perdre tout contact avec leurs collègues. Cependant, ceux qui craignent un isolement qui les rendrait moins efficaces sont parfois aussi ceux qui ne communiquent que par téléphone ou par mail avec des collègues qui sont dans des bureaux à quelques mètres du leur. Par ailleurs, le télétravail permet d’éviter les ambiances toxiques et les rapports de domination abusifs, et il favorise de nouvelles formes de solidarité entre collègues.
Avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, les jeunes générations ont l’habitude de créer des relations fortes et durables avec des personnes jamais rencontrées. Beaucoup
d’entreprises utilisent des systèmes de messageries instantanées pour permettre des conversations impromptues entre les salariés. Le télétravail peut même avoir l’effet paradoxal de renforcer les collectifs de travail. Même les pauses café réputées être des moments d’échanges informels, riches et créatifs, peuvent être recréées à distance.
Il existe des solutions spatio-temporelles intermédiaires comme n’être en télétravail que quelques jours par semaine et/ou dans un télécentre proche du domicile de plusieurs collègues. Cependant, sous l’impulsion de la Covid-19, de nombreuses entreprises françaises suivent l’exemple des firmes américaines, brésiliennes ou suédoises où le télétravail constitue une pratique courante et ancienne.
Cependant, le télétravail n’est pas une solution miracle. Il peut engendrer un sentiment de solitude et limiter les opportunités de carrière chez ceux qui le pratiquent. Il peut également amplifier des dimensions négatives du poste occupé et si la relation est déjà mauvaise entre un salarié et son employeur, le télétravail risque d’aggraver le problème plutôt que de le résoudre. La puissance du lien entre employé et employeur apparaît plus faible, ce qui facilite les licenciements, eux aussi à distance.
Une approche différente du temps de travail
La part des Français ayant expérimenté le télétravail est passé de 7 % à 40 % depuis le début de la crise. Le retard de la France par rapport aux pays nordiques ou anglo-saxons s’explique non seulement par une approche très conservatrice du travail, fondée sur la hiérarchie et le contrôle, mais aussi par un plus faible niveau de transformation digitale des organisations.
En effet, un déploiement maîtrisé et à grande échelle du télétravail nécessite une certaine maturité numérique et une nouvelle approche du management plus centrée sur le bien-être et l’épanouissement individuel.
Le télétravail présente de nombreux bienfaits en termes d’efficacité et de performance. Contrairement aux idées reçues, les personnes en télétravail ne sont pas des personnes qui fuient le travail ou qui cherchent à travailler moins. Ce sont surtout des personnes qui travaillent quant il faut et qui font preuve de beaucoup plus de flexibilité. En particulier, elles peuvent travailler très tôt ou très tard pour se synchroniser avec des équipes en Asie ou en Amérique, et se libérer du temps dans la journée.
Sans horaire pour aller déjeuner ou pour rentrer à la maison, un salarié n’est pas obligé de s’interrompre au milieu d’une tâche et peut terminer ce qu’il a commencé sans avoir à se soucier de son repas ou des embouteillages. Les activités sont mieux définies, priorisées et réparties. Les réunions sont moins nombreuses, plus courtes et plus efficaces. Elles s’appuient sur un ordre du jour précis, font l’objet de moins d’interruptions ou interventions inopinées, et aboutissent à des décisions.
Les salariés ont massivement exprimé leur satisfaction et trois quarts d’entre eux souhaiteraient prolonger le télétravail au-delà de la crise au moins quelques jours par semaine. Certaines entreprises sont donc confrontées aux réticences d’un retour au bureau de leur personnel, non seulement en raison du contexte sanitaire, mais surtout du désir de rester travailler chez soi.
Une forme de reconnaissance
Le télétravail permet de rester proche de sa famille et d’avoir une vie sociale plus développée. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est meilleur car le télétravail permet de sortir de la routine et du métro-boulot-dodo qui a un effet déprimant et démotivant. Le télétravail permet d’accorder plus de temps, plus d’attention et plus de moyens à la gestion de ses problèmes privés. Il réduit donc les préoccupations parasites et diminue le stress pendant le temps où l’on travaille. C’est d’autant plus vrai pour les Parisiens qui partent en province en gardant le même niveau de salaire, ou les citadins qui partent à la campagne pour profiter du grand air.
Le télétravail permet aux salariés de gagner du temps et de l’argent : parfois plusieurs heures par jour et plusieurs centaines d’euros par mois, ce qui est une grande source de satisfaction. Or, une étude menée conjointement par Harvard et le MIT démontre que les salariés heureux sont deux fois moins malades, six fois moins absents, neuf fois plus loyaux, 31 % plus productifs et 55 % plus créatifs.
Être en télétravail, c’est être responsabilisé par son entreprise, gagner en autonomie et avoir la confiance de son manager dans un contexte où le contrôle de la présence et des horaires n’est plus la garantie que les salariés accomplissent bien leurs missions. Ils se sentent privilégiés et valorisés, et ils expriment leur reconnaissance par un engagement professionnel plus élevé et un fort attachement institutionnel.
Managers et salariés semblent donc avoir adopté massivement et durablement le télétravail. La pandémie aura au moins eu quelques effets positifs en réduisant les déplacements professionnels et en permettant à certains d’accéder à un meilleur confort de vie.
Auteur: Oihab Allal-Chérif
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.