Assistance Travail Hybride en Provence-Alpes-Côte d'Azur

Métavers au travail : que peut-on en attendre ?

David Jiwon HONG, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le futur du télétravail est-il dans les métavers ? Comment cet espace numérique pourrait-il transformer notre façon de collaborer et de travailler ?


Au sein de l’Union européenne, à la suite de la crise sanitaire, la pratique du télétravail aurait augmenté de 4,7 % à 17 % et pas uniquement dans le secteur privé, mais également dans le secteur public. Cependant, en 2023 Sam Altman (PDG d’OpenAI) déclare que l’une des pires erreurs de l’industrie de la technologie était de permettre que tout le monde puisse être à 100 % en télétravail. En 2024, les avis sur ce mode de travail semblent changer peu à peu, comme l’ancien PDG de Google Eric Schmidt qui s’est excusé d’avoir critiqué la politique de télétravail de Google. D’après une étude publiée par KPMG cette année, à propos des organisations américaines, de nombreux PDG accepteraient de plus en plus le travail hybride (mélange du présentiel et du télétravail). Plus précisément, ils étaient 34 % en faveur du travail hybride en 2023, contre 46 % cette année.

En parallèle à l’augmentation de cette pratique, des recherches ont approfondi ce sujet et mis en lumière les limites et enjeux liés au télétravail de longue durée devant un écran. On peut citer par exemple, la « Zoom fatigue » désignant cette baisse de motivation à la suite de réunions en visioconférence, le sentiment d’isolement ou encore l’absence de moments informels, comme les discussions autour de la machine à café, qui permettraient l’émergence de nouvelles idées et qui contribueraient à la créativité.

Cependant, malgré ces limites, de nombreux travailleurs forcés de revenir aux bureaux manifestent une baisse de satisfaction au travail. Ce paradoxe met en évidence un défi majeur pour les organisations : bien que le télétravail présente des inconvénients, les travailleurs y restent attachés.

Face à cette situation, plusieurs questions se posent : l’utilisation d’un métavers pourrait-elle résoudre ce paradoxe ? Quelles sont les opportunités offertes par le travail dans un métavers ? Ce mode de travail immersif pourrait-il représenter une alternative au télétravail classique en conservant les avantages du travail à distance, tout en renforçant le sentiment de présence et d’appartenance ?

Les Métavers : de quoi parle-t-on ?

À l’heure actuelle, il n’existe pas encore de définition officielle et partagée de ce terme. Plusieurs chercheurs ont essayé de donner leur version de ce qu’est un métavers, que l’on peut synthétiser comme suit : un métavers est un monde virtuel en ligne, où les utilisateurs, qui sont représentés par un avatar, peuvent interagir à l’oral et à l’écrit à l’aide d’interfaces technologiques variées (du clavier d’ordinateur au casque de réalité virtuelle ou mixte).


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Il existe plusieurs types de métavers, les métavers pour le travail (Enterprise Metaverse), les métavers pour les consommateurs (Consumer Metaverse) et ceux pour les divertissements. L’accès à un monde virtuel peut se faire à partir de son ordinateur, de son smartphone, de sa tablette ou bien d’un casque de réalité virtuelle/mixte (VR/MR). L’un des métavers de type jeux-vidéo les plus populaires en ce moment est Roblox, particulièrement apprécié et utilisé par les jeunes générations. Un autre métavers populaire est le jeu vidéo Fortnite qui a d’ailleurs été utilisé en 2018 par l’entreprise Dare.Win pour faire des entretiens d’embauche, transformant ainsi l’étape formelle du recrutement, en étape ludique et gamifiée. Les métavers sont aussi utilisés dans la formation, notamment pour les militaires, ou même en entreprise, grâce aux solutions proposées par Innoteo ou Reverto. Dans les secteurs aéronautique (simulateur de vol) et médical (chirurgie), les formations immersives dans des métavers sont déjà dispensées depuis plusieurs années.

Dans notre étude, nous définissons le travail dans un métavers comme étant : « une méthode de travail déspatialisée, durant laquelle les travailleurs sont connectés à un monde virtuel, leur permettant de communiquer et collaborer avec les autres membres de l’organisation. » Il n’est donc pas obligatoire d’utiliser un casque VR/MR, ce dernier étant simplement un outil d’accès à un monde virtuel.

Les Nouvelles Formes d’Organisation du Travail (NFOT)

Travailler dans un métavers pourrait constituer une nouvelle évolution technique au service de ce que l’on appelle les Nouvelles Formes d’Organisation du Travail ou NFOT. Les autres NFOT que nous connaissons tous sont les open spaces, les flex offices ou tout simplement le télétravail. Tous ces modes de travail apportent une flexibilité spatio-temporelle, permettent la collaboration et requièrent l’usage de TIC (Technologie de l’Information et de la Communication). Le télétravail, tout comme les espaces de coworking apparaissent dans les années 90, avec l’évolution des outils technologiques et surtout l’accessibilité à ces outils. En parallèle, les jeux vidéo se développent de plus en plus, avec l’apparition dans les années 2000, de la Wii de Nintendo ou la Xbox de Microsoft. Les utilisateurs se sont donc familiarisés, pour la plupart, avec les ordinateurs, les manettes de jeu, voire des casques VR.

Finalement, le télétravail dans un métavers est un mode de travail qui bénéficie des innovations développées dans le secteur des jeux vidéo : avatars, manettes, design, fonctionnalités…

Le télétravail dans un métavers est déjà une pratique adoptée par certaines organisations, comme Zigbang, une entreprise sud-coréenne qui a même supprimé ses bureaux physiques. En France, l’entreprise Manzalab a créé Teemew qui permet à ses utilisateurs de se retrouver dans un monde virtuel sous forme d’open space, dans lequel les participants sont représentés par un avatar. Sur les casques VR/MR, des applications comme Immersed, Fluid et Horizon Workrooms permettent de collaborer entre collègues ou bien de travailler seul dans un bureau virtuel entouré d’un décor virtuel.

Dernièrement, Microsoft a lancé Microsoft Mesh, un monde virtuel créé en collaboration avec Meta. Ce nouveau logiciel peut être utilisé seul ou bien en étant intégré à Microsoft Teams, transformant ainsi les visioconférences en réunion dans un monde virtuel. https://www.youtube.com/embed/_0InCXA13L8?wmode=transparent&start=0 Vidéo promotionnelle de Microsoft Mesh.

Dans le cadre de notre recherche, nous avons eu l’occasion de tester différents mondes virtuels avec l’entreprise française Komodal.

Collaborer dans un métavers : au-delà des visioconférences

Une étude au sein de Microsoft a révélé que lorsque le télétravail se généralise dans toute l’entreprise, il y avait une réduction de la collaboration et une perte de lien entre les équipes. Cette conséquence pourrait être atténuée voire annulée grâce à l’un des principaux avantages du métavers : la création d’un sentiment de téléprésence. Ce dernier désigne le sentiment d’être réellement présent dans un environnement virtuel et serait une forme d’expérience hors du corps.

Contrairement au télétravail classique, où les interactions se limitent à des e-mails et des visioconférences, les utilisateurs peuvent se déplacer dans des environnements virtuels variés, comme un open space sur une île, une forêt, ou une montagne, et interagir plus naturellement avec leurs collègues. Chaque métavers propose ses propres fonctionnalités de collaboration, mais certaines sont récurrentes : le partage d’écran, les zones audio privées, les salles de réunion, les messageries internes… Ainsi, l’utilisation d’un monde virtuel ne va pas solliciter l’utilisation d’autre logiciel de visioconférence comme Zoom ou Google Meet.

La collaboration commence dès la création de son avatar qui sert à se représenter dans un monde virtuel. Or, l’apparence de cet avatar peut soit améliorer la collaboration ou alors être un obstacle. Bien qu’un avatar puisse renforcer le sentiment d’incarnation, ne pas avoir assez de fonctionnalités de personnalisation entraîne la création d’avatars très similaires les uns aux autres, inhibant alors le but principal de l’avatar. Comme expliqué par Beaufils & Berland (2022), « Une bonne incarnation dans l’avatar permet une bonne interaction avec l’environnement virtuel, ce qui augmente l’immersion ». Une partie des systèmes cognitifs de l’utilisateur va être transférée à son avatar, facilitant ainsi les interactions.

Dans un monde virtuel, quatre types de positionnement identitaire existent. La duplication est celle privilégiée dans un contexte professionnel : l’apparence et le comportement de l’avatar seront ceux de son utilisateur, la frontière entre le réel et le virtuel est légère. Dans certains cas, l’amélioration peut être adoptée : l’utilisateur va améliorer certaines caractéristiques physiques de l’avatar par rapport à l’apparence physique de son propriétaire. La transformation ainsi que la métamorphose sont les deux autres possibilités.

Cependant, dans un contexte professionnel, le management des impressions se transpose même dans un monde virtuel. En d’autres termes, se transformer ou se métamorphoser reviendrait à avoir un travailleur différent dans le monde réel et le monde virtuel, alors qu’en général, une personne est recrutée d’après son identité dans le monde réel. Se pose alors la question du management des impressions dans un monde virtuel et dans un contexte professionnel. S’il s’agit d’un jeu vidéo, l’incidence de l’apparence et du comportement d’un avatar aura peu d’effet sur le joueur. Au travail, le but et les conséquences sont différents : l’intérêt d’avoir un avatar au-delà de pouvoir se déplacer, est aussi de voir ses collègues et de se faire reconnaître. Devoir essayer de deviner qui est représenté par tel avatar crée un obstacle aux interactions dans les métavers.

Le Métavers au travail : un outil participant au développement du bien-être au travail ?

Plusieurs recherches ont pu démontrer les bienfaits de la réalité virtuelle sur l’humeur et le stress. Les sons de la nature, des images ou vidéo de plantes augmentent les sensations de joie et de relaxation tout en diminuant les sentiments de tristesse, de colère et d’anxiété. Les plafonds hauts dans les mondes virtuels aideraient les utilisateurs à se sentir plus « libres » tout comme les espaces plus larges.

Grâce à leurs design et fonctionnalités, les métavers sont alors des outils adaptés si l’on souhaite contrebalancer le sentiment d’isolement et le stress lors du télétravail. Virbela propose un campus avec des bâtiments, et d’autres lieux comme un lac ou un bateau de pirates, ainsi que de la végétation même dans les bureaux.

De plus, ce mode de travail assure une flexibilité spatio-temporelle, facteur important pour encourager l’innovation, la créativité et une plus grande liberté. La suppression des bureaux physiques d’une entreprise en plein centre-ville permet de diminuer la pollution tout en évitant aux employés d’emprunter des transports en commun souvent saturés.

Que faire dans un métavers d’entreprise ?

Bien évidemment, les réunions prévues et surtout les réunions ou discussions spontanées rendent l’expérience beaucoup plus interactive et utile comparée à du télétravail classique. En plus de ces moments, des activités de team-building peuvent venir animer les semaines pour renforcer la cohésion d’équipe. Ces activités peuvent être de simples temps d’échange pour apprendre davantage sur ses collègues, un escape game ou encore une chasse au trésor. Par exemple Breakroom permet aux administrateurs de cacher des objets sur le campus.

Le maître-mot étant : le collectif. En effet, partir trouver un objet caché seul supprime la dimension collective qu’apporte ce mode de travail. L’intérêt principal étant de rester proche virtuellement même en étant physiquement éloigné. La chasse au trésor sur Virbela en binôme a permis de faire découvrir ce monde à ceux qui s’y connaissaient moins tout en assurant la téléprésence et le sentiment d’appartenance à la même entreprise.

What’s next ?

Aujourd’hui, il manque encore des études sur ce mode de travail et en particulier sur le comportement des télétravailleurs dans un métavers. Avant de choisir un métavers, l’organisation doit réfléchir à ce qu’elle veut y faire en plus des réunions. En effet, si l’organisation souhaite utiliser un monde virtuel uniquement pour ses réunions, l’intérêt est quasi nul, puisqu’avant et après la réunion, les travailleurs seront à leur état habituel en télétravail, soit seuls face à leur écran.

Alors que les solutions immersives se développent de plus en plus, il revient aux organisations de trouver celle qui répondra le mieux à leurs besoins : quelle plate-forme offre la meilleure sensation de téléprésence ? Que souhaitons-nous faire vivre à nos collaborateurs ? Quelles activités pourrions-nous organiser ?

David Jiwon HONG, Doctorant en Sciences de Gestion, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.