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Écolieux : bien vivre avec une faible empreinte carbone ?

Dans toute la France, des citoyens se regroupent pour habiter, travailler ensemble et inventer de nouveaux lieux de vie qui seraient adaptés aux enjeux de la transition écologique. Ils créent ce qu’on appelle des écolieux qui se caractérisent par le choix d’une vie collective, plus sobre en moyens, plus solidaire et ouverte sur l’extérieur. Selon un recensement opéré par la Coopérative Oasis et Habitat Participatif France, 1 200 écolieux et habitats participatifs accueilleraient environ 20 000 personnes en France.

Ces habitants expérimentent un quotidien bas carbone, constituant ainsi des ressources d’exemples ou d’illustrations de modes de vie moins impactants. Ces lieux sont parfois appelés « oasis », terme qui permet de regrouper de façon générique toutes les formes d’écolieux collectifs : écohameaux, habitats participatifs, tiers-lieux écologiques, fermes collectives, etc.

Une étude portant sur plus de 300 lieux du réseau des Oasis montre que la grande majorité se trouve en milieu rural, souvent dans des lieux de patrimoine à rénover, trop grands pour n’accueillir qu’une seule famille (ferme, grande longère, château ou manoir). À l’exception de quelques cas particuliers, ils hébergent entre 3 et 12 foyers qui ont chacun un espace privatif et partagent des jardins et des espaces communs (buanderie, salle pour les enfants, salle polyvalente, chambres d’amis…).

Les habitants de ces oasis développent en général quelques activités économiques sur place pour faire une transition professionnelle, soit de façon collective (écotourisme, formations, résidences d’artistes) soit de façon plus personnelle (maraîchage, artisanat, épicerie).

Dans le cadre de ses travaux sur la place de la sobriété dans nos modes de vie, l’Agence de la transition écologique a noué un partenariat avec la Coopérative Oasis, qui anime le réseau des écolieux collectifs, afin de rendre accessibles les retours d’expérience sur les écolieux et de constituer un observatoire dédié.

Des bureaux d’études et des acteurs du monde de la recherche ont donc évalué certaines dimensions de la vie au sein de ces écolieux à l’aide d’indicateurs comme l’Indicateur de capacité relationnelle appliqué aux écolieux (RCI-é), l’insertion locale ou l’empreinte carbone.

L’ambition est de mesurer à quelles conditions ces lieux de vie peuvent constituer un maillon pour bâtir une société plus sobre et solidaire. Penchons-nous ici sur l’empreinte carbone de ces lieux – mesurée en questionnant 600 personnes venues de 48 « Oasis » différentes – dont les résultats ont été dévoilés en novembre dernier.

5,4 tonnes d’équivalent CO₂ émis

L’étude est fondée sur l’empreinte carbone moyenne d’un Français, d’environ 10 tonnes d’émissions d’équivalent CO2 (CO2eq) par an. En détail, ces émissions de gaz à effet de serre sont liées pour 1,8 tonne à l’alimentation, pour 2,8 aux transports, pour 1,9 à la consommation de biens et services, pour 2,4 au logement et pour 1,1 aux services publics. Ces chiffres nationaux – qui sont régulièrement recalculés – servent communément de référence de comparaison avec les bilans individuels d’émissions.

L’analyse de l’empreinte carbone des individus vivant en écolieux a été réalisée en s’intéressant à l’ensemble des émissions générées par les pratiques et habitudes de consommation des habitants sur une année.

Ainsi, l’habitant d’un écolieu présente une empreinte carbone près de deux fois plus faible, à savoir de 5,4 tonnes CO2eq par an ! L’alimentation ne représente ainsi que 1,2 tonne CO2eq, les transports plus que 2. Les améliorations les plus spectaculaires concernent la consommation de biens et services qui émet moins de 500 kgCO2eq et le logement, dont l’impact chute à environ 600 kgCO2eq.

Seul le bilan lié aux services publics qui dans la méthodologie est calculé en répartissant l’impact des services publics entre tous les Français ne bouge pas.

Les pratiques en détail

Selon le type d’écolieux – communauté thématique, jeunes, habitat participatif, écohameaux, etc. – on observe peu de différences dans la répartition de l’empreinte carbone.

Sur le logement, la différence s’explique à la fois par des pratiques plus sobres en matière de construction (écologique) et d’entretien des bâtiments (beaucoup de rénovation), et par la consommation quasi inexistante de gaz et de fioul dans les écolieux, où l’énergie est fondée sur un recours quasi exclusif au bois et à l’électricité.

Côté alimentation, où l’écart est également notable, ce sont les émissions liées à la consommation de viande qui apparaissent nettement plus faibles : 297kgCO2eq par an pour les habitants d’une Oasis contre 873 dans la moyenne nationale, soit environ trois fois moins que la moyenne française. La consommation en produits laitiers dans les écolieux est équivalente aux 2/3 de la consommation française.

Quant à la consommation de biens et services, les habitants des écolieux émettent près de 4 fois moins de gaz à effet serre que la moyenne de la population générale. Ce résultat s’explique par un recul vis-à-vis de la société de consommation, un recours plus systématique au réemploi et à la mutualisation des biens, des choix de loisirs qui génèrent 7 fois moins d’émissions que ceux de la population générale, des achats de vêtements 2,5 fois moins et l’ameublement et électroménager plus de 5 fois moins.

La mobilité et le numérique, points de vigilance

Des points d’amélioration se dégagent cependant. Les habitants vivant en écolieux font plus de trajets longue distance que la moyenne des Français. Ils ont ainsi une empreinte carbone liée à l’usage de l’avion plus élevé que dans la moyenne nationale 598kgCO2eq contre 430. Même constat pour le train (93 contre 20). Cette empreinte s’explique sans doute par les habitudes de voyages que ces personnes, souvent très diplômées, avaient avant d’habiter en oasis et pour lesquelles elles n’ont pas opéré de changement majeur.

Pour les courts trajets en revanche, les habitants des écolieux ont davantage recours au vélo, et utilisent plus volontiers le covoiturage que le reste des Français. Ainsi, l’empreinte carbone des mobilités des habitants des écolieux est 25 % plus faible que la moyenne française, bien qu’au total ils parcourent plus de kilomètres que la moyenne des Français.

Autre point susceptible d’être amélioré, les émissions liées à l’usage du numérique : les habitants des Oasis émettent encore 107kgCO2eq, un bilan qui reste élevé, bien qu’inférieur à la moyenne nationale (de 180).

Au-delà de l’empreinte carbone, la qualité de vie et l’insertion dans le territoire sont aussi évaluées.

Des retours très positifs sur la qualité de vie

La qualité de vie au sein des écolieux est notamment mesurée à travers la qualité des relations qui s’y vivent. Cet aspect est documenté par le Campus de la Transition à l’aide du RCI, indicateur de bien vivre fondé sur l’approche des capacités qui évalue 5 dimensions – le rapport à soi, les relations à l’intérieur du lieu, les relations à l’extérieur du lieu, le rapport à la société et le rapport à l’environnement. Les interrogés sont questionnés sur vingt critères.

Les habitants des écolieux témoignent ainsi, selon une étude menée dans 10 Oasis et auprès de 120 personnes, d’un sentiment d’alignement plus fort qu’avant la vie en écolieux, de liens authentiques avec ceux qui les entourent, d’un désir de contribuer à des changements sociétaux à plus large échelle et d’un besoin de se reconnecter au vivant. Ils font également remarquer que vivre en collectif permet d’aller plus loin dans une démarche de sobriété.

Quelques indicateurs frappants illustrent cette qualité relationnelle : 85 % d’entre eux estiment pouvoir faire confiance, d’une manière générale, à la plupart des gens, contre 30 % à l’échelle de la population française. 95 % trouvent un sens à leur travail, alors que, à titre de comparaison, ce n’est le cas que de 50 % des Britanniques. Enfin, 76 % d’entre eux ont le sentiment de « prendre le temps de faire ce dont ils ont vraiment envie », ce qui n’est le cas que de 67 % de la population française.

La principale difficulté dans un premier temps est sans doute celle de la relation avec l’extérieur, puisque le choix de ce mode de vie peut entraîner des incompréhensions avec les proches ou des difficultés d’intégration au sein du territoire d’implantation.

L’insertion sur le territoire, plus délicate

En lien avec ce dernier aspect, une autre dimension cruciale pour tester le bon fonctionnement des écolieux est de s’assurer de sa bonne insertion dans le territoire d’implantation – rapports avec la population et les pouvoirs locaux. Une étude menée en 2021 par des étudiants de Sciences Po Lyon dans 8 écolieux de 7 départements différents met ainsi en évidence que si les pouvoirs locaux se montrent en général bienveillants, il est indispensable que le projet soit construit en amont de l’installation avec eux, et que les habitants des écolieux montrent une volonté d’intégration dans les organisations sociales locales.

En effet, les rapports sont parfois tendus entre les habitants des écolieux et ceux des communes d’accueil : malgré une volonté d’ouverture vers l’extérieur, la vie des écolieux est parfois, surtout au début, trop centrée sur elle-même et sur les questions matérielles et organisationnelles propres au collectif, créant de fait un écart avec la vie de la commune.

À cela s’ajoutent les préjugés pouvant exister entre ces nouveaux arrivants, qui en général n’ont pas d’attaches avec le lieu où ils s’implantent et sont perçus comme des urbains « fraîchement convertis à une certaine écologie », et un monde rural jugé par les premiers comme trop conservateur. La taille du projet jouerait également, un petit projet serait ainsi plus susceptible d’être accepté qu’un grand.

L’exemple du réseau Oasis est intéressant car il nous donne un aperçu, à petite échelle, de ce à quoi peut ressembler un quotidien plus sobre, puisque l’empreinte carbone des habitants de ces écolieux est, en dehors des services publics, deux fois moins élevée que celle d’un Français moyen. Il illustre aussi qu’au-delà de ce bilan, ce mode de vie offre aussi d’autres bénéfices comme la qualité des liens qui s’y nouent, le bien-être, l’inclusion et la solidarité.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.