Assistance Travail Hybride en Provence-Alpes-Côte d'Azur

Travailler oui… mais pour pouvoir aussi se réaliser en dehors

Dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, on a beaucoup dit que les Français, après un tel événement, souhaitaient avant tout retrouver du bon temps et perdaient quelque peu le sens du travail, longtemps considéré comme un élément important de l’identité individuelle.

Et des petites phrases de certaines ministres et du président lui-même laissent entendre que les Français, qui ne veulent pas travailler jusqu’à 64 ans, seraient fainéants et manqueraient de civisme. Par ailleurs des sociologues insistent sur la dégradation des conditions de travail, qui serait devenu pour beaucoup insoutenable et insupportable.

Comment le sens du travail a-t-il donc évolué sur le long terme ? L’enquête sur les valeurs des Européens, renouvelée tous les neuf ans, permet de s’en faire une idée assez précise.

Le travail, une valeur forte, assez stable depuis 30 ans

Tout d’abord, regardons pour 2017-2018 quels sont les domaines de la vie jugés très importants dans un certain nombre de pays européens (tableau 1). La famille est plébiscitée partout mais le travail arrive presque toujours en seconde position, suivi par les amis et relations, puis les loisirs. Entre ces trois derniers domaines, les différences de valorisation sont assez fortes selon les pays. La France fait partie des sociétés qui jugent le plus souvent que le travail est très important dans leur vie, après l’Italie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Norvège.

L’évolution dans le temps est peu marquée : 61 % des Français jugeaient le travail très important en 1990, 69 % en 1999, 68 % en 2008, et donc 62 % en 2018. Au contraire de la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne sont au bas de l’échelle du travail. Dans le même temps, la France valorise aussi beaucoup les amis et relations, ainsi que les loisirs. Il semble donc n’y avoir nulle dérive du sens du travail depuis une quarantaine d’années. Simplement, d’autres aspects de la vie sont considérés aussi comme très importants, tout particulièrement la famille et les amis.

Le sentiment de bonheur et de réussite de sa vie repose sur la complémentarité de la satisfaction dans ces domaines jugés fondamentaux.

Le sens du travail

Considérons une question plus précise sur le sens du travail (tableau 2). En 2017-2018, 72 % sont tout à fait d’accord avec l’affirmation : « Pour développer pleinement ses capacités, il faut avoir un travail », 70 % sont aussi tout à fait d’accord pour dire que « travailler est un devoir vis-à-vis de la société ». Les trois autres affirmations, « Les gens qui ne travaillent pas deviennent paresseux », « C’est humiliant de recevoir de l’argent sans avoir à travailler pour ça », « Le travail devrait toujours passer en premier, même si cela veut dire moins de temps libre » sont moins plébiscités. Il n’y a d’ailleurs que 38 % des Français qui disent que le travail devrait toujours passer en premier même si cela veut dire moins de temps libre alors que 44 % ne sont pas d’accord.

On voit bien que les Français valorisent beaucoup le travail, mais ne veulent pas consacrer toutes leurs énergies à leur vie professionnelle.

Ces cinq questions, très liées entre elles, peuvent former une échelle du sens du travail. On observe que, quelle que soit la vague de l’enquête, celui-ci est plus valorisé à l’est de l’Europe et dans l’Europe du Sud que dans les pays nordiques et en Europe de l’Ouest.

Par contre les amis et les loisirs sont jugés plus importants dans les pays nordiques et en partie à l’ouest qu’à l’est. Il semble bien qu’à partir d’un certain niveau de développement, on se focalise moins sur la nécessité du travail et on est plus avide de sociabilité et de loisirs. Le même phénomène s’observe lorsqu’on regarde la position sociale des individus (en fonction de leur profession, de leur revenu et de leur diplôme) : les catégories au bas de l’échelle sociale valorisent davantage le travail que les personnes favorisées, alors que ces dernières donnent plus d’importance que les défavorisés aux amis et relations.

Les attentes à l’égard du travail

Abordons à présent les attentes à l’égard du travail. Selon les Français, leur travail doit à la fois leur permettre de se réaliser mais aussi leur fournir de bonnes conditions matérielles de travail (tableau 3). Un bon travail doit être épanouissant et valorisant, on veut avoir des responsabilités et de l’initiative. Mais les conditions matérielles sont aussi importantes et, en premier lieu, le niveau du salaire. Alors que les horaires et les vacances sont beaucoup plus secondaires.

Si le travail reste toujours un élément très important de l’identité individuelle jusqu’en 2018, se pourrait-il que la pandémie de Covid-19 ait généré, après les peurs de la maladie et de la mort, une soif de profiter de la vie et une modification importante de la hiérarchisation des valeurs ?

Cela ne semble pas être le cas si on prend en compte la récente enquête de l’institut de sondages Kantar Public pour l’Institut Montaigne, réalisée en septembre 2022, sur 5001 actifs (enquête web auto-administrée en ligne), dont les résultats viennent d’être publiés.

Premier élément à souligner : 77 % des Français se disent satisfaits de leur travail, un chiffre qui, selon toutes les enquêtes, a peu bougé ces dernières années. Les écarts selon le statut des actifs ne sont pas énormes : la satisfaction est en moyenne de 7,6/10 chez les indépendants contre 6,7/10 chez les salariés. Elle est plus élevée chez les chefs d’entreprise, les indépendants et les professions libérales alors qu’elle est plus basse chez les ouvriers de l’industrie et les employés de commerce, ce qui est aisément compréhensible par les possibilités différentes de réalisation de soi qu’offrent les emplois.

Profiter de l’après-travail

Les insatisfactions les plus citées concernent le niveau de rémunération, l’absence de possibilités d’évolution dans sa profession et le manque de reconnaissance de l’entreprise. Il existe aussi un fort désir de mobilité professionnelle, soit dans la même entreprise, soit dans une autre, voire en devenant indépendant. Ce qui montre des insatisfactions mais aussi que les aspirations au travail restent nombreuses, avec des souhaits d’amélioration de sa situation et de nouvelles expériences. Le travail est donc toujours très structurant pour l’identité individuelle, ce qui fait que le chômage est très mal vécu.

82 % des actifs à plein temps se disent satisfaits de la durée de leur travail, qu’ils estiment à 39,8 heures par semaine. Par contre, 60 % estiment que leur charge de travail s’est alourdie depuis cinq ans mais seulement 24 % la jugent excessive. Autrement dit, une majorité de travailleurs semblent finalement, malgré leur sentiment de manque de temps, assez bien combiner leur vie professionnelle et leur vie privée.

Depuis l’irruption du Covid-19, la principale modification dans l’organisation du travail est le développement fulgurant du télétravail : en 2017, seulement 3 % des actifs le pratiquaient un jour par semaine, alors que c’est aujourd’hui le cas d’un tiers d’entre eux. Ceux-ci semblent plutôt satisfaits de cette possibilité qui leur est offerte de travailler depuis leur domicile ; cela permettrait un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, même si cela freine les relations sociales entre collègues.

Il n’y a donc aujourd’hui aucune démission des actifs par rapport à leur travail. Mais, ceux-ci veulent aussi pouvoir profiter de l’après-travail, pendant leur vie active et pendant leur retraite. Ils sont donc très opposés à l’allongement de l’âge de départ à la retraite prévue dans la loi en cours de débat.

Au fond, la valorisation forte du travail s’est largement maintenue depuis des décennies mais la montée des valeurs d’individualisation et d’autonomie dans la gestion de sa vie a développé les exigences à l’égard de l’emploi. Le travail doit être non seulement un gagne-pain mais permettre son épanouissement personnel. Il doit aussi être compatible avec une vie familiale, sociale et des loisirs eux-mêmes épanouissants.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.